L’être humain peut-il être immortel ?
- Arthur Monaury
- 17 mai 2017
- 8 min de lecture

L’être humain peut-il être immortel ?
Premièrement, qu’est-ce que l’immortalité ? Etymologiquement, ce terme désigne l’inverse de la mortalité, qui lui désigne la soumission d’un corps à une fin inéluctable. La mortalité implique donc la notion de durée : il y a un début et une fin à une période que l’on appelle la vie, période indéfinie et qui s’arrête. La raison de cet arrêt est la dégradation à un point de non-retour d’une ou des fonctions qui permettent à l’organisme mortel de se maintenir en vie. Ainsi, de nombreuses obligations découlent de ce statut précaire, et définissent la nature de l’être mortel. Par leur définition, nous établissons donc à la fois le statut de l’être mortel mais également celui de l’immortel : l’immortel sera l’exact reflet inverse du mortel. Commençons donc par étudier la nature du mortel.
Par observation du comportement de la large sphère du vivant, incluant toutes les espèces terrestres, on déduit un principe moteur commun à chacune d’entre elles : l’impératif inconditionnel de perpétuation de l’espèce, du vivant, du mortel donc. Ce principe fondamental dicte lui-même foule de comportements mortels, conscients ou non. Par exemple, d’où provient l’amour et la dévotion sans limites du couple vis-à-vis de leur enfant ? Sans même connaître les qualités et la personnalité de ce dernier, sans même le connaître en général, le couple est prêt à tout pour sauvegarder sa descendance, précisément parce que celui-ci, du fait de son statut de mortel, ne peut espérer se maintenir indéfiniment dans le temps. On peut ainsi définir comme première caractéristique de la mortalité ce qu’on pourrait appeler l’impératif de vie. Ainsi, il apparaît que les êtres immortels ne ressentiraient pas le besoin de se maintenir dans le temps, de se reproduire, car ils sont éternels. L’impératif de vie ne les touche pas, puisque que de par la définition que l’on a donnée au début, l’être immortel ne vit en fait pas, puisque la vie implique une durée. On peut donc se poser la question du conatus de l’immortel : si ce n’est vivre, et que l’immortel est l’exact reflet inverse du mortel, l’immortel ne cherche-t-il donc pas à mourir ? Hypothèse que nous vérifierons ou pas par la suite.
On peut tout à fait se questionner sur les raisons de cet impératif : si celui-ci est indéniablement présent, par quoi est-il motivé ? Pourquoi les mortels ne seraient-ils pas pris d’envie de cesser de vivre ? D’autant plus que vivre ainsi soumis aux dégradations implique une vie de souffrances, couronnée par la mort, sorte de court effort intense voué à l’échec, étoile filante dans le ciel, vague s’échouant sur le rivage, sans cesse remplacée par d’autres étoiles et d’autres vagues poussées par cet impératif si catégorique dont on ne sait l’origine… Peut-être le désir de vivre est-il motivé par la vie elle-même, et qu’alors les désirs seraient créés non pas par besoin, mais par possibilité de réalisation du désir… Comment l’idée de meurtre viendrait-elle sans la possibilité d’ôter la vie ?
Malgré son origine incertaine, le fait est que l’impératif de vie existe bel et bien. Quelles sont ses conséquences sur la nature des êtres mortels ? Nous pouvons pour commencer la réflexion essayer de relier une qualité et un défaut opposés à cette même notion d’impératif, comme par exemple l’égoïsme et l’altruisme. L’égoïsme désigne le fait, pour un humain, de faire passer ses propres intérêts avant ceux des autres, et de considérer chaque action qu’en fonction des bénéfices que cela pourrait lui apporter.
L’altruisme, au contraire, désigne le fait de se dévouer aux autres, de les aider dans toute la mesure de nos moyens. Un égoïste ne fera par exemple pas de dons à des associations caritatives, quand une personne altruiste le fera de bon cœur. Mais quelles sont les motivations de ces deux comportements ? Ils visent tous les deux en réalité la perpétuation de l’espèce, à des degrés différents. L’égoïste cherchera à tout prix à répondre à son impératif de vie personnel, tandis que l’altruiste cherchera à répondre à l’impératif de vie du plus de personnes possibles, même au prix de l’abandon du sien. L’impératif de vie peut donc donner naissance à des comportements totalement ambivalents mais motivés par le même but, qui est la pérennité de l’espèce. Mais alors, quelle est la différence entre un égoïste et un altruiste ? On peut avancer l’hypothèse d’une perception à différents niveau d’intensité de l’impératif. On peut ainsi raisonner en termes de cercles d’influence croissant, à la manière d’une cible. Le cercle du centre représente le niveau d’intensité d’impératif de vie le plus restreint : l’individu ne cherche que son propre bien et rechigne à pourvoir à ceux des autres : c’est l’avarie extrême par exemple. On étendra ainsi les cercles suivants au réseau social de la famille, puis des amis et conjoints, puis sa classe sociale, son pays, sa civilisation et enfin, le degré d’impératif de vie le plus large, qui est celui de tous les êtres humains ainsi que du vivant en général.
On accordera ici une importance majeure aux termes employés pour désigner l’intensité de l’impératif de vie chez l’individu : on parle d’une vision restreinte, non de faible, et de large, non de forte. En effet, l’avare le plus extrême ou le xénophobe nationaliste connaissent des degrés d’intensité de l’impératif de vie qui sont très élevés : il faut à tout prix empêcher l’étranger d’interférer avec l’impératif de vie de l’individu : une des craintes souvent tournée en dérision par leurs détracteurs n’est-elle pas celle que l’étranger vole le travail de l’honnête citoyen, c’est-à-dire ce qui lui permet de vivre ? Ainsi, il apparaît plus juste de parler de niveau de conscience de l’impératif de vie que d’intensité : celle-ci est globalement la même, c’est la sphère sociale à laquelle celle-ci est étendue qui varie. Le niveau de conscience de l’impératif de vie des individus définit donc d’une part certaines de leurs qualités et défauts, comme la générosité ou l’avarie, l’égoïsme ou l’altruisme, la compassion ou l’indifférence, mais également à qui ces défauts et qualités vont s’appliquer. Plus encore, on peut penser que l’ensemble des défauts et qualités humaines découlent de l’impératif de vie : en effet, la mortalité implique inévitablement, puisque qu’elle est par nature lacunaire et imparfaite, des défauts, mais qui sont compensés par des qualités : comment la générosité pourrait-elle naître si les individus ne sont pas dans le besoin, et ce du fait de leur nature lacunaire ?
Il apparait donc au vu du dernier raisonnement que c’est le statut mortel du vivant qui lui confère ses défauts et qualités, car générés par des besoins intrinsèquement liés à la structure lacunaire de l’être mortel. Or, nous avons vu que l’être immortel ne devait pas œuvrer pour sa préservation, du fait de son statut d’immortel. On peut donc supposer que l’immortel est dénué de tout défaut, mais également de toute qualité : pourquoi l’être immortel irait-il au secours de son prochain si celui-ci ne peut par définition pas être dans le besoin ? Pourquoi l’immortel serait-il doté de la faculté d’aimer, puisque que rien ne le soude à son prochain, ni la nécessité de se reproduire, ni les qualités inhérentes à sa personnalité ?
Pourquoi l’immortel serait-il intéressé par les sciences et la réflexion, puisque nous savons que les buts de celles-ci sont d’une part de palier aux défauts humains, de lui permettre de mieux répondre à ses besoins, mais également de mieux connaître le vivant et l’esprit humain, en clair de chercher à comprendre notre environnement, qui est par nature fini, en opposition totale avec l’immortel qui est lui par définition infini ? Notre question de base semble alors réduite à cette seule opposition : la nature humaine, sans avoir besoin de l’étudier des années, et fondamentalement définie sur des limites, des besoins, des lacunes liées à une durée de vie déterminée et finie. En somme, vouloir adapter quelque chose de fini et de lacunaire à quelque chose d’infini et de complet est à la limite de l’impossibilité mathématique.
Mais si nous cherchons à dépasser le stade simple de l’opposition fini/infini et de mortel/immortel, nous pouvons nous demander si être immortel ne se résume pas à autre chose que l’opposition à la mortalité. Quelque chose d’immortel, d’infini, peut-il développer une conscience ? Si ce n’est sur une structure lacunaire et sur des besoins, autour de quoi une conscience peut-elle s’organiser ? Tout d’abord, encore une fois par opposition simpliste, nous avons vu que la notion de vie impliquait forcément une durée finie. L’être immortel ne vit donc pas au sens où on l’entend, car ne naît ni ne meurt pas. Mais on peut également s’interroger sur la conscience d’un tel être. Au sens humain du terme, la conscience est la faculté qui nous permet d’installer un pont entre souvenirs passés et situation présente, conscience fondamentalement nécessaire car obligatoire pour former un individu, notre passé nous définissant. Et sans ce lien entre mémoire et présent, nous serions incapables de définir qui nous sommes, et nous n’aurions donc pas de conscience à proprement parler. On distingue ici un élément fondamental dans la définition de la conscience de l’immortel, le temps. La mémoire et l’individu se définissent avant tout par rapport au temps : nous nous situons par rapport à un commencement, notre naissance, et situons toute notre personnalité par rapport au temps. Il y a dix ans, j’étais journaliste. Dans dix ans, j’espère être ministre de la culture. Ainsi, nos souvenirs sont structurés sur un axe précis sur lequel toute l’histoire de l’univers est présente. Nous évoluons également en fonction du temps, car il laisse des marques et nous détériore, du fait de notre mortalité. Le temps est ainsi un facteur déterminant non seulement pour les êtres mortels, mais également pour qu’une conscience émerge. Mais alors, quelle conscience développe un être insoumis au temps ? Si il n’en n’a pas conscience et n’en tient pas compte, il est impossible pour lui de se créer une conscience, car tout ce qu’il vivrait ce superposerait pour former un tout informe, sans possibilité de structurer ses souvenirs, sans possibilité de se structurer lui, et donc de créer une conscience, une mémoire… En effet, la mémoire est avant tout à disposition des mortels pour anticiper le futur, car ils le craignent, et doivent ainsi apprendre du présent et se souvenir du passé pour survivre au futur. Mais quel besoin aurait un immortel d’un tel appareil psychique ? Il ne craint pas le futur, ignore le passé, et ne reconnait pas le présent… On peut également se questionner sur les souvenirs que peut engranger un immortel : un souvenir est en effet limité dans le temps, or nous avons vu que l’immortel par définition est en opposition totale avec l’ensemble des choses finies.
Les souvenirs que peut enregistrer l’immortel se devrait donc d’être à sa mesure, c’est-à-dire infinis. Mais un souvenir infini en est-il vraiment un ? Nous avons vu qu’un souvenir et qu’une mémoire ainsi qu’une conscience se définissaient par rapport au temps, si nous supprimons alors cette échelle en n’inscrivant pas des souvenirs dans l’axe du temps, ce n’en sont alors pas. L’être immortel, si il est infini, et ne craignant pas le temps, se voit ainsi incapable de créer une conscience, une mémoire, une personnalité, incapable également de vivre des expériences, car quel genre d’expérience est infinie ? A cette question, il apparait que la seule réponse est l’être immortel lui-même.
Ainsi, un être immortel et insoumis au temps sera privé de l’impératif de vie. Il ne pourra donc pas développer les qualités et défauts, ainsi que les besoins et désirs qui sont reliés au mode de vie mortel. L’immortel est par définition un être totalement en dehors de ce que la mortalité implique, en dehors totalement de ce que l’on peut côtoyer. Selon nos critères mortels, il ne peut même pas exister du fait de son abstraction du temps, car incapable de former une conscience. En somme, l’immortalité au sens d’inaltérabilité totale est impossible, tout simplement. Mais ne peut-on pas imaginer d’autres types d’immortels, qui auraient par exemple conscience du temps, ou verraient leur immortalité soumise à certaines conditions, deux facteurs qui on l’a vu, empêchent l’être immortel d’exister ?
Étudions donc ces autres immortalités. Nous avons mentionné, comme facteurs déterminants de l’émergence d’une conscience et d’une nature qui permet le développement d’une forme de vie physique et intellectuelle, le rapport au temps d’une part, et l’immortalité de l’autre. Ces deux conditions sont-elles fondamentalement séparées ? Par définition, le rapport au temps en est sa conscience, c’est-à-dire la structuration d’évènements du fait de leur ordre chronologique. A vrai dire, rien n’empêche l’immortel dans sa forme la plus pure d’appréhender le temps, c’est du fait de son statut et de son incapacité à côtoyer des évènements finis qui fait de lui un être anachronique.
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